« Bonjour, et merci d’avoir appelé France Telecom ! Pour accéder au service technique, faites le 1, pour accéder au service commercial, faites le 2, pour
accéder au service suicides, faites le 24. Si aucun de ces choix de vous convient, faites des économies et allez chez Free ou faites ce que vous auriez déjà
dû faire et allez chez SFR.
France Télécom, le pays où la vie est plus courte ! ».
Même si le nouveau message téléphonique de l’opérateur hystérique a de quoi surprendre, peut-être parce que réalisé
par un ancien membre du service « sanitaires » victime du principe de mobilité des employés, il a de quoi rappeler qu’un nouveau salarié de
l’entreprise de communication, le 24ème en un an et demi, s’est suicidé ce mois-ci.
Mais quelles peuvent être les causes de ce que des
médecins appelleraient « une épidémie » et la direction des ressources humaines chargée de la réduction des
effectifs « une aubaine » ?
Certains rappellent que le passage d’un monopole d’état à une entreprise à but si possible un peu lucratif ne peut se faire sans douleur, comme
Francine Bille Du Crois, embauchée à FT en 1982, et qui a quand même tenu à garder l’anonymat à seule fin de pouvoir garder son
emploi : « Je suis entrée à France Telecom à un moment où il n’y avait pas de travail, surtout dans France Telecom d’ailleurs ! Personne
ne nous demandait jamais rien ! Évidemment, je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. FT en ce temps-là,
c’était un débarras où il faisait bon être, et dans l'humble bureau où il fallait qu’on reste pour pouvoir faire la sieste,
c'était ça notre emploi, en bâillant aux corneilles jusqu’à la carte vermeille. France Télécom, ça voulait dire : on est
heureux. France Télécom, nous ne venions qu’un jour sur deux.
Un employé, interrogé par notre rédaction, avoue ouvertement avoir souvent pensé
au suicide : « J’en rêve toutes les nuits, parfois même les après-midi. Je me vois dans mon bureau, à côté de mon chef qui
me dit et me redit des mots étranges, encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots : « Rentabilité », « concurrence
», « profit » … Et soudain je le vois qui se suicide en sautant par la fenêtre. Je me penche, je vérifie, c’est bien lui, ouf ! Oui, je
l’avoue, souvent, je pense au suicide ».
Dans sa lettre de suicide, la personne qui s’est donnée la mort ce mois-ci a tenu à expliquer son
geste : « Depuis des années, j’appelle chaque jour mes amis aux États-Unis, au Japon ou en Mongolie, car étant très attaché
à mon entreprise, j’ai droit à 90% de réduction sur ma facture téléphonique.
Depuis que j’ai appris que la majeure partie des Français qui nous donnait des
centaines d’euros ne paye plus rien pour faire pareil, la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Je demande pardon à mes amis mongols. »
Interviewé sur Europe 1 sur cette réduction d’effectif non contrôlée, le patron du groupe, Didier Lombard, a reconnu ne pas avoir "pris en compte
suffisamment de signaux", comme les tentatives de suicides non couronnées de succès, ou les essais de pendaison avec des câbles WiFi.
Il assure que son plan anti-stress sera
bouclé d'ici la fin de l'année en espérant qu’à cette date il reste encore du personnel : fenêtres des bureaux impossibles
à ouvrir, antidépresseurs directement intégrés à chaque aliment de la cantine d’entreprise, et suppression pure et simple de la
prime de fin d’année pour tout chef de service qui aura perdu définitivement plus de la moitié de ses effectifs.
Didier a ensuite expliqué : "On a sous-estimé un certain nombre de paramètres humains, en particulier le fait que dans notre entreprise, justement, il y a des êtres
humains.
Nous avons peut-être fait trop vite des transformations majeures, nous n’avons peut-être pas su utiliser les mots qu’il faut, peut-être
avons-nous justement utilisé les mots qu’il ne faut pas, et peut-être aurions-nous du mieux préparer l’ensemble du personnel à
certaines remises en cause.
Peut-être que … peut-être … bon, ça va quand même : rien ne prouve que parmis les personnes
suicidées, certaines ne se seraient pas électrocutées le lendemain chez elles à cause d’un fer à repasser mal
isolé. Vous savez, le malheur, c’est simple comme un coup de fil ! ».
Devant l’ensemble de l’assistance légèrement médusée et par
peur de s’être montré un peu imperméable devant cette 24ème tragédie, Didier a préféré clore l’interview
par des mots se voulant rassurant : « Ne croyez pas une seconde que je sois insensible à la souffrance des employés de ma société. Ce sont des
êtres humains, et ils ont donc forcément besoin, comme toute machine, d’un support technique pour fonctionner correctement. Mais si vous mettez en marche un appareil pour la
première fois alors qu’il a été vendu il y a 20 ans, il ne faut pas s’étonner de certains de ses disfonctionnements ».